On ne discute à peu près jamais, dans les études littéraires, de la dimension affective de la théorie. Ce silence trouve sans doute ses raisons dans le fait qu’il s’agit en grande partie d’une autocritique. Pudiques : on n’ose pas mettre les passions sur la table ; sérieux : on hésite à aborder la sensibilité ; rationnels : on ne voit de l’intérêt que dans la dimension intelligible de la théorie. Somme toute, on ne veut pas exposer les affects des autres puisqu’on sait très bien que ce geste nous affectera en retour, comme si le dévoilement de l’amour ou l’impatience d’un théoricien allait tôt ou tard, comme une dénonciation, se retourner contre soi. Or, il y a toujours quelque chose de gênant à mettre à nu la pensée des autres et surtout la sienne. Pourtant, on ne peut pas ne pas aimer ou haïr les objets que l’on théorise, on les admire ou les jalouse, on s’y complaît ou s’y ennuie… et tout cela paraît de manière plus ou moins évidente. Mais comment peut-on parler des affects de la théorie si le voile de l’objectivité qui l’habille depuis des lustres la rend apparemment invulnérable à la sensibilité ?
J’aimerais titiller le savoir dans cette communication en déshabillant la théorie littéraire. Séducteur, je m’en prendrai à la théorie la plus impassible et frigide, la sémiotique. Provocateur, je démontrerai que ses concepts sont des images aussi tendres que la chair lisse d’une caresse. L’œuvre que je mettrai ainsi à nu sera nulle autre que les deux gros livres rebutants de Algirdas Julien Greimas, Du sens I et II. Essais sémiotiques. Ces ouvrages pratiquent déjà ouvertement ce que Greimas lui-même présentera, à la fin de sa vie, sous le nom de sémiotique des passions. Nous avons bel et bien affaire, me semble-t-il, à une histoire d’amour en puissance.