La photographie numérique propose par de nombreuses options préréglées sur les appareils les plus ordinaires d’imiter son ancêtre argentique. En témoignent par exemple les artefacts disponibles sur tout appareil compact, fabriquant automatiquement du « noir et blanc » ou du « sépia », ou encore Photoshop qui facilite la traditionnelle retouche manuelle. Mais la révérence la plus marquante envers la vieille technique argentique consiste dans le tirage des images numériques sur papier, qui se raréfie à proportion que le nombre des clichés augmente puisque l’écran garantit désormais leur visibilité en dispensant de cette étape finale. Le jeu des épreuves n’intéresse plus guère que les professionnels qui exposent et publient, mais aussi encore parfois des amateurs qui font imprimer certaines images. Ce geste dès lors gratuit (du seul point de vue fonctionnel !)
du tirage signale le respect d’un code symbolique nouveau, par lequel fixer l’image sur papier transformerait en photographie ce qui apparaîtrait seulement à l’écran comme un signe de photographie : une photosémie ?
Ces images photosémiques seraient des signes d’images photographiques au sens où ils prescriraient à la prise de vue l’option du devenir-objet, en réactivant symboliquement l’aura de l’épreuve, la matérialité et la permanence de l’image argentique. Pour autant, le tirage ne constitue pas un simple retour aux seules valeurs de l’ancêtre : l’imitation d’une technique par l’autre engage de fait un jeu de modifications réciproques dans les oppositions symboliques identifiées entre argentique et numérique. Objet/ image ; permanence/éphémère ; aura/viralité ; mémoire/miroir ; écrit/discours ; référent/désirent ; discrétion/distraction du regard porté sur l’image : c’est le réseau mouvant des valeurs symboliques que charrie ce transport, d’un support à l’autre, qu’on veut interroger dans les pratiques contemporaines amateur pour tenter de définir quelles fictions ce type d’actualisation de l’image met en œuvre.