Le démon de Maxwell est l’une des expériences de pensée les plus résilientes de l’histoire des sciences. Ce petit manipulateur d’atomes, brièvement mentionné dans la théorie de la chaleur, perdure car il permet l’étrange passage entre la conscience et la création d’énergie. En effet, ce fruit de l’imaginaire transgresse les lois de la thermodynamique et renverse l’entropie en organisant la matière au niveau atomique. Le fait qu’une simple mise en scène de concepts physiques permette une telle résistance aux lois de l’institution scientifique est un indice majeur de la force épistémologique du littéraire. En effet, le démon de Maxwell trouble le rapport entre imagination et théorie en le dévoilant à la lumière du jour. Sa récupération littéraire démontre la fluidité avec laquelle une idée d’un certain type peut se fondre autant aux fonctions de la sciencia qu’à celles de l’affect. Que ce soit en tant que motif de l’intrigue dans Vente à la criée du lot 49 de Pynchon ou en tant que concept vulgarisateur personnifié dans Le nouveau monde de M. Tompkins de Gamow, le démon de Maxwell a fait couler aussi bien l’encre fictive que celle théorique, et c’est autour de telles expériences de pensées qu’on constate que ces deux nappes de sens semblent être constituées du même matériau. Mais qu’arrive-t-il au savoir lorsqu’il dévoile ses sources fictives ? Peut-il toujours prétendre à une exactitude ? La réinscription du démon dans un contexte fictionnel déstabilise l’autonomie de la thermodynamique. Ainsi, la spéculation fortuite de Maxwell devient une figure génératrice de sens, un noyau autour duquel foisonnent plusieurs discours qui ne peuvent se rencontrer que par le biais d’une fiction. Cette figure s’introduit sans invitation à la fête de la pensée, mais réussit à s’y fondre en faisant autant danser Theoros qu’Imaginarius.