Imaginer le monument pour mieux le détruire : Qu’est-ce que l’iconoclasme textuel ?

Auteur / Author: 
Claire GHEERARDYN (Université de Strasbourg, France)
Date: 
Thursday, August 25, 2011 - 10:15
Local: 
R-R150
Séance/Workshop: 
14-2. Literary Monuments

 

Poèmes et romans montrant l’individu face au monument urbain, retracent généralement une expérience de refus, d’oubli et de perte de sens. En écrivant, et, dès lors, transformant et réimaginant le monument, la littérature occidentale toute entière semble signer la défaite de celui-ci, qu’elle attaque le héros commémoré, la forme pesante et laide prêtée à ce dernier ou le bien-fondé même de l’entreprise de commémoration collective. Ridiculisé, le monument est inadapté au lieu où il se dresse et à la société qui le contemple. Ainsi, les surréalistes font grimper la Jeanne d’Arc de Frémiet sur un gros cochon ; nul ne sait plus qui est le Humboldt représenté par la statue chez Berryman ; et à Concord, chez Robert Lowell, le Minuteman de French, sculpté en saindoux, fond au soleil.

 

Cette dysphorie culmine avec le Pierre le Grand de Falconet. Apparaissant dès 1821 dans Les Aïeux du polonais Mickiewicz, Pierre traverse toute la littérature russe, de Pouchkine à Maïakovski. Il s’anime et pousse son spectateur à la folie et à la mort. Le législateur éclairé désiré par Falconet devient chez Biély l’incarnation du mal absolu. La littérature a ainsi le pouvoir de dévoyer le sens premier du monument. En rendant démoniaque la représentation officielle du pouvoir, la fable fantastique devient un moyen de contestation politique. La haine pour le tsar est reportée sur son monument, et, réciproquement, les caractéristiques matérielles de la statue — le serpent, le cheval qui s’emballe, le socle démesuré, l’inscription — lui confèrent son pouvoir néfaste. Le texte orchestre la confusion entre le représenté (le tsar) et le représentant (sa statue).

 

À travers des exemples très divers, cette communication explorera l’hypothèse d’un iconoclasme textuel, qui se substitue parfois à un iconoclasme de fait. Le texte n’imagine-t-il le monument que pour mieux l’attaquer ?