Du Triangle culinaire au triangle amoureux : 
Lecture lévi-straussienne de Pot-Bouille d’Émile Zola

Auteur / Author: 
Véronique CNOCKAERT (Figura, Département études littéraires, Université du Québec à Montréal, Canada)
Date: 
Thursday, August 25, 2011 - 10:15
Local: 
R-R160
Séance/Workshop: 
28-2. Substrats anthropologiques

 

Dans son article, « Le triangle culinaire » (1967), Lévi–Strauss distingue trois catégories dans le monde de la cuisine qui sont le « cru », le « cuit » et le « pourri ». Aux deux premières, il associe un mode de cuisson particulier, le rôti dans le premier cas, le bouilli dans le second. Le bouilli qui cuit dans un contenant relève de « l’endo-cuisine » et s’oppose au rôti qui cuit sans récipient et relève de « l’exo-cuisine ».


Dans Pot-Bouille, afin de « Montrer la bourgeoisie à nu, après avoir montré le peuple, et la montrer plus abominable, elle qui se dit l’ordre et l’humanité »,
Émile Zola, comme il le suggère en tête de son « plan », rapproche manières de cuisiner et manières de vivre aux fins de démonstration : il faut ouvrir
« la marmite où mijotent toutes les pourritures de la famille et tous les relâchements de la morale ». L’immeuble de la rue de Choiseul, « marmite »
bourgeoise par excellence, se révèle en effet le lieu d’une « endo-cuisine » des mœurs où se mêlent bourgeois et domestiques, amours réchauffées et langage cru. Zola, par la métaphore culinaire employée, pressent comme va le démontrer plus tard Lévi-Strauss, la proximité entre le bouilli et le pourri, mais il pressent également que le bouilli accompagne un resserrement des liens familiaux et sociaux dont l’acmé dans Pot-Bouille est l’intégration de la maîtresse dans la famille.


Beaucoup plus tôt, dans ses Écrits sur l’art, le romancier qui n’était encore qu’apprenti-écrivain voyait déjà dans la représentation de la chair un défi esthétique majeur. Et c’est en termes de cru et de cuit également que s’établissent sous sa plume certaines distinctions esthétiques. Prenant donc le romancier au mot, cette étude voudrait analyser le dixième roman des Rougon-Macquart à partir du « cru », du « cuit » et du « pourri », pris comme notions anthropologiques et littéraires.