Ritualité de la plume et de l’épée : La mise en jeu d’un “langage de Vie”

Auteur / Author: 
Matthieu DUBOIS (Centre de Recherche sur l’Imaginaire, Université Catholique de Louvain, Belgique)
Date: 
Jeudi 25 Août 2011 - 10:15
Local: 
R-R160
Séance/Workshop: 
28-2. Substrats anthropologiques

 

La relation qui se noue, grâce à l’œuvre, entre un créateur et un sujet récepteur, tend à ériger celle-ci comme l’expression d’un pouvoir démiurgique dont l’artiste est le dépositaire. Cependant, alors que la création semble s’incarner dans un objet, dont elle travaille le langage propre et les formes, la phénoménologie matérielle de Michel Henry rappelle qu’il n’y a pas de corps senti, objectif, sans une « chair », c’est-à-dire un corps sentant, apte à en faire l’épreuve pathétique. Cette approche permet donc de réinterroger le lieu même de la création, tel qu’il soit commun à toutes les formes d’expression.


Ainsi, bien que la pratique de la plume et celle de l’épée diffèrent fondamentalement l’une de l’autre — mettant en jeu d’une part le langage verbal et d’autre part le langage gestuel —, toutes deux font preuve d’un rapport similaire à la ritualité. En particulier, pour les poètes modernes, l’écriture représente un travail de reprise et d’amélioration des textes, jusqu’à ce qu’ils soient donnés en partage par la lecture, qui en constitue leur ré-énonciation perpétuelle. Concernant l’épée, la culture extrême-orientale, qui pense une certaine porosité entre la calligraphie et l’escrime, a développé, de façon spécifique, une véritable culture esthétique des techniques guerrières, telle que les arts martiaux qui exigent la répétition des mouvements, soit pour les codifier du point de vue du maître fondateur, soit pour en maîtriser toutes les virtualités du point de vue des élèves. Ces éléments ne constituent pas tant une contrainte technique qu’une jouissance de l’acte d’écriture et de lecture, ainsi que du travail du corps. Aussi la ritualité détient-elle une composante pathétique essentielle, telle que la création signifie un processus d’auto-affection de la « chair » du sujet (tant créateur que récepteur), soit la re-création d’émotions et de sensations chaque fois uniques, dans le saisissement toujours renouvelé de l’œuvre. En ce sens, toute réalisation artistique exprime originairement un « langage de Vie », selon Michel Henry, qui fonde la possibilité, par la rencontre de subjectivités à son horizon, d’une communauté de vivants.