Claudio Parmiggiani crée des empreintes par enfumage : des objets sont posés contre les murs d’une pièce au milieu de laquelle sont incendiés des pneus dégageant une fumée grasse ; une fois les objets retirés, la cendre soufflée sur les murs révèlent leurs contours. En 2002, au Musée Fabre de Montpellier, Parmiggiani fait ainsi apparaître les fantômes des étagères et des livres de l’ancienne salle de lecture de la bibliothèque municipale dont le musée a repris les lieux. Les livres revêtent dès lors une fonction métonymique, désignant non seulement le passé de l’actuel musée, mais, symboliquement, l’histoire au sens large dont ils sont l’évocation. Or, c’est à une image évanescente de l’histoire que Parmiggiani nous confronte, lui qui dit créer des « présences de l’absence » (2003 : 233). Aussi, l’image en négatif des bibliothèques évoque moins la somme tangible d’un héritage culturel que l’intransmissibilité de l’histoire, tandis que le présent de la trace s’identifie à un espace ouvert dans la trame du temps. En ce sens, la bibliothèque peut être perçue comme l’incarnation du concept de brèche d’Hannah Arendt qui définit l’expérience historique comme discontinuité : « Du point de vue de l’homme, qui vit toujours dans l’intervalle entre le passé et le futur, le temps n’est pas un continuum, un flux ininterrompu ; il est brisé au milieu, au point où “il” se tient » (1972 : 21). La brèche représenterait dès lors l’intervalle de temps où la pensée historique émerge pour juger du passé et du futur. Similairement, l’image en négatif des livres nous convie à attribuer un sens à l’histoire suspendue par l’effacement de l’objet. Ceci implique donc de penser un temps long qui, à l’heure du présentisme, semble précisément avoir disparu. Cette communication proposera donc de lire les empreintes de Sculpture d’ombre comme une invitation à rouvrir la brèche masquée par une trop commune fixation sur l’immédiat et à prendre main le sens de notre existence collective.