Post-apocalypse dans le roman hispano-américain contemporain : La fin du paradigme apocalyptique ?

Auteur / Author: 
Ilse LOGIE (Département de Langues et littératures romanes, Université de Gand, Belgique)
Date: 
Jeudi 25 Août 2011 - 10:15
Local: 
R-R120

 

Pour une série de raisons historiques et géopolitiques, les imaginaires apocalyptiques sont éminemment fréquents dans la prose narrative hispano-américaine du XXe siècle ; mentionnons en guise d’exemples les œuvres très différentes de Roberto Arlt, Mario Vargas Llosa ou Gabriel García Márquez. Ceci dit, les modalités spécifiques que prennent les mises en scène de la fin varient beaucoup d’un texte à l’autre. Elles dépendent entre autres du projet poétique de chaque auteur ainsi que du contexte historique et du cadre philosophique et idéologique dans lequel celui-ci s’inscrit. Ainsi, les ambitieuses alternatives utopiques qui se dégageaient, en filigrane, des grands romans du « boom » ne se maintiennent pas pendant les années du « désenchantement » (les années 70-80 avec ses conflits armés et ses dictatures militaires) et perdent du terrain face aux douleureuses « allégories de la défaite » (Avelar). Pour ce qui est de l’extrême contemporain, nous assistons à une prise de conscience de plus en plus aigüe que la grande catastrophe a déjà eu lieu dans notre monde globalisé. L’essayiste mexicain Carlos Monsiváis a forgé le terme de « postapocalyptique » pour décrire les récits et l’iconographie qui dominent en Amérique Latine, tandis que James Berger a analysé la façon dont les écrivains américains ont exprimé ce en quoi consiste l’expérience de vivre parmi les ruines de la civilisation occidentale.

 

Dans cette communication, nous considérerons les implications pour la représentation littéraire de cette prémisse « postapocalyptique » d’ordre oxymorique. Car comment peut-on évoquer ce qui vient « après la fin » ? Comment déployer cet imaginaire ? À partir du roman 2666 de Roberto Bolaño (2004), qui constitue un vrai diagnostic sur les défaillances du XXe siècle, nous étudierons cette « fin du monde » qui débouche sur les féminicides de Santa Teresa. Comme le font les meilleurs textes narratifs de notre temps, ce roman fragmenté de Bolaño montre l’épuisement du pouvoir révélateur de la fin dans une époque qui ne connaît plus de « dehors » du pouvoir et de la violence. Mais contrairement à ce qui se passe dans le  resurgissement du millénarisme, Bolaño reconnaît les risques qu’entraîne la rhétorique apocalyptique — une rhétorique dans laquelle s’enracinent les pires tragédies du XXe siècle — et assume la contingence dystopique d’une vie sans perspective rédemptrice.