Plasma blanc et manifestation graphique

Auteur / Author: 
Éric BOUCHARD (Figura, Université du Québec à Montréal, Canada)
Date: 
Mardi 23 Août 2011 - 8:30
Local: 
R-R140

 

La page blanche. Source d’angoisse chez les uns, ressource créative avant tout, ou surface narrative, ainsi que la qualifient Sohet et Lacroix (2000), qui considèrent que l’utilisation du blanc de page comme ressource syntaxique dans le travail d’Andréas « rappelle l’antériorité fondatrice du support ». Or, en bande dessinée, on s’attarde souvent à ce qui est graphiquement, « positivement » énoncé, et à sa contrepartie, le blanc elliptique, primordial agent structurant de l’énonciation ; mais la surface blanche a-t-elle un potentiel signifiant ?


Hugo Pratt conserve volontairement un style économique pour mettre en valeur, dans ses cases, la puissance suggestive des laissés blancs, pour évoquer en creux une réalité à partir des quelques traits bruts qui la jouxtent, aspect corroboré par le fait que le degré d’« indétermination » d’un style graphique paraît inversement proportionnel au travail de reconstruction du réel que doit effectuer le lecteur, ainsi que l’exploite Emmanuel Guibert, dont le registre graphique oscille entre hyperréalisme et blanchissante synthétisation, schématisation.


Par rapport à l’utilisation du blanc tabulaire, Fabrice Neaud (2002) rapporte un commentaire de Denis Bajram sur son utilisation en tant qu’élément signifiant par le scénariste Jim Starlin. Bajram explique que la surface noire utilisée pour représenter le rien physique demeure en définitive une encre d’impression, représente encore quelque chose, tandis que laisser la page blanche crée un rien conceptuel, que Starlin utilise comme lieu de combats dialectiques entre entités cosmogoniques — antichambre de la création à juste titre nommée « Dimension des manifestations ». La surface narrative peut ainsi elle-même se retrouver mise scène pour devenir discours sur la matière graphique (Chamoiseau et Ségur : 2009), ou pour moduler l’intensité d’un flux narratif (Molia et Jarret : 2009).


Ces quelques exemples ont pour but d’illustrer en quoi ce blanc peut-être envisagé comme « plasma », considéré comme matière pré-actualisée, espace réagissant à ce qui y figure, lieu de suggestion et de manifestation.