L’homologie entre les scènes artistiques de l’avant-garde russe et de la fabrication d’icônes orthodoxes constitue actuellement un point incontournable dans la lecture du corpus suprématiste. L’art russe ne peut plus être interprété d’après une grille de lecture évinçant le refleurissement du patrimoine religieux, spécialement des icônes, ayant lieu en Russie au début du XXe siècle. Le premier monochrome de l’histoire de l’art, Carré blanc sur fond blanc, réalisé par le peintre d’origines russo-polonaises Kasimir Malévitch en 1918, soulève des enjeux spirituels en partageant avec l’icône des dispositifs d’organisation du visuel. Iconoclaste, l’œuvre moderne récuse un mimétisme produisant des simulacres de la nature au même titre que l’art traditionaliste ritualisé s’éloigne d’une reproduction du réel en devenant figuration symbolique et organe de reconduction à l’immatériel. Silencieuse et blanche, la toile de Malévitch devient un intermédiaire pour le spectateur lui permettant de faire le saut dans la « non-objectivité », monde philosophique idéel créé par l’artiste. La forme géométrique simplifiée à l’extrême questionne donc le point de rencontre entre l’intelligible et le matériel, l’invisible et le sensible. Ainsi, l’entité métaphysique derrière l’objet d’art joue un rôle prépondérant pour le fondateur du suprématisme qui invite le spectateur à le suivre dans « l’abîme blanc et libre » (Kasimir Malévitch, « Le Suprématisme », 1919), soit l’univers où la transfiguration est rendue possible.
Dans cette perspective, la reconnaissance de motivations spirituelles profondes derrière la création picturale suprématiste entraîne la mise en échec de la compréhension formaliste de Carré blanc sur fond blanc. Le prétendu nihilisme du peintre vole en éclats tandis que l’œuvre n’apparaît plus telle une préfiguration conceptuelle de la réduction moderniste américaine des années 60. La communication vise à retracer ce clivage dans l’historiographie du suprématisme, à partir duquel le corpus pictural de Malévitch est questionné en fonction d’occurrences de questions reliées au sacré.