Cet appel de textes me trouble. Il est dense et je ne suis pas certaine d’en recevoir toute la portée. J’y vois avant tout un désir authentiquement ressenti et exprimé dans un langage théorique, d’intégrer les dimensions de l’affect et de l’imaginaire à la théorie et ainsi de renouveler ses fondations. Je comprends la démarche qui consiste à intégrer l’affect au savoir dont l’institutionnalisation est liée à un refoulement de l’affect justement. Mais selon moi, la théorie, quelle soit sèche ou éclatée, se déploie toujours déjà, consciemment ou non, à partir de l’affect, à partir de questions, non pas purement intellectuelles ou détachées, mais de questions qui blessent, qui obsèdent, qui impliquent le penseur selon le plan existentiel qui accompagne en réalité la dimension épistémologique. Je crois que toute théorie contient une source affective et que son refoulement n’appartient pas autant à la théorie elle-même qu’à son institutionnalisation — institutionnalisation dont il serait utopique, contradictoire et hypocrite de souhaiter la fin dans le contexte universitaire duquel nous suivons religieusement les rites et les codes, participant avec chaque communication et chaque article à ce processus d’institutionnalisation duquel nous nous plaignons continuellement. Je crois donc que cet appel de communications concerne en définitive notre position ambiguë (toujours singulière, mais identique en réalité) de penseurs affectifs et affectés et de la place que nous occupons dans l’institution ; il concerne, non pas tant la théorie que celui ou celle qui la propose, qui la bâtit, qui l’emprunte, qui la travaille, qui l’applique, qui la subvertit, qui la boude. C’est l’inconfort de cette position qui m’intéressera dans cette communication dont l’inspiration théorique est kierkegaardienne (pour ne pas dire : dont l’inspiration théorique kierkegaardienne m’a été transmise par l’institution qui m’a formée).