Qu’est-ce qu’un « Livre d’artiste(s) » ? Quelles en sont les principales modalités ? Comment donner une définition à un mode d’expression plastique et graphique protéiforme ? Après avoir esquissé le contexte et la manière dont s’affirme le « Livre d’Artiste » — l’un des principaux lieux de réflexion des rapports entre l’image et le mot aux XXe et XXIe siècles —, on s’interrogera sur l’acuité et l’actualité de cette question à travers l’étude de plusieurs œuvres de l’extrême contemporain et en particulier celles qui questionnent les enjeux traditionnels du livre.
Ainsi le livre et la lecture, objets-processus d’un travail mené par Yann Sérandour depuis quelques années, sont tantôt une image-icône — image idéalisée d’un texte sacralisé, dont la sédimentation sera parasitée par l’artiste — ; tantôt une image-reliquat — image parcellaire de textes devenus des sensibles et des visibles dans la composition. Dans Inside the White Cube, l’artiste reprend l’ouvrage référence de Brian O’Doherty, White Cube, sur l’art de la mise en espace des expositions pour en faire, plus qu’un texte palimpseste, une image réifiée en objet d’art.
Khalil Joreige et Joana Hadjithomas, quant à eux, construisent grâce au livre d’artistes Images Latentes – Journal d’un photographe un protocole particulièrement intéressant : cet ouvrage, qui ne raconte pas une histoire, témoigne de la mémoire fictive et dissolue d’un photographe libanais Abdallah Farah. Chaque chapitre, introduit par l’image d’une pellicule photographique jamais développée, est composé d’une série de textes brefs enserrés dans des cartouches à l’image de la pellicule. Pour autant ces textes ne sont pas des illustrations ou des ekphraseis des images non révélées entre 1997 et 2006 : ils créent cependant un espace tiers à partir duquel sonder « les images latentes » de manière non linéaire et non chronologique tout en invitant le lecteur à inventer sa propre modalité de lecture.