Les réincarnations d’un carré noir

Auteur / Author: 
Geneviève CLOUTIER (Université du Québec à Montréal, Canada)
Date: 
Jeudi 25 Août 2011 - 8:30
Local: 
R-R140

 

« Un carré noir sur fond blanc ». Voici comment le critique d’art Alexandre Benois a décrit le tableau que Kazimir Malevitch exposa pour la première fois en 1915 sous le titre Quadrangle. Tout semblait déjà dit, et le public pouvait s’éviter le déplacement. Cependant, si cette phrase est passée à l’histoire au point de remplacer le titre que Malevitch lui-même avait donné à son tableau, elle fut loin d’être le « dernier mot » à son sujet. Dès le départ, en effet, le Carré noir provoqua un déferlement verbal sous lequel l’œuvre s’est trouvée rapidement ensevelie. Il s’en trouve que, jusqu’à aujourd’hui, le contact du public avec cette œuvre est presque toujours indirect, passant par le biais du discours critique ou théorique ou encore — et c’est là ce qui m’intéressera plus particulièrement — par celui d’autres œuvres d’art. Car le Carré noir, en vertu de son incroyable polysémie, est aussi l’un des tableaux les plus cités dans l’histoire récente de l’art. Avec plus ou moins de bonheur selon les cas, avec respect ou ironie, les artistes de divers horizons l’ont allègrement copié, parodié, détourné, recyclé, communiquant par là leur propre vision de l’œuvre. En Russie même, l’ampleur du phénomène est telle depuis les quelque trente dernières années que, de l’art contemporain russe, on a pu dire qu’il était non pas un art après Malevitch, mais un art sur Malevitch. Dans cet exposé, qui prendra la forme d’un parcours à travers la longue et tumultueuse histoire du Carré noir et de ses multiples « réincarnations » artistiques, je m’intéresserai à la manière dont l’intense travail de citation ou de récupération auquel le tableau a été soumis a affecté sa réception au fil du temps. Je partirai du postulat que ces œuvres de récupération qui dépendent du tableau de Malevitch sont désormais elles-mêmes constitutives du Carré noir et je montrerai comment ce dernier est devenu, à travers celles-ci, une incarnation du destin de la Russie et de l’avant-garde.