Les discours de l’invisible

Auteur / Author: 
David Michel LEMAIRE (ENS- CNRS, Paris, France)
Date: 
Mardi 23 Août 2011 - 13:30
Local: 
R-R120

 

En mai 1863, trois mois avant de mourir, Eugène Delacroix offrit à Constant Dutilleux, son futur exécuteur testamentaire, un petit tableau intitulé Tobie et l’ange. Au centre de ce tableau se cache l’image potentielle d’un gigantesque visage léonin. Comment interpréter cette image ? et avec quels outils ?


Je me propose d’utiliser d’une part les travaux du groupe µ et d’autre part une herméneutique ricoeurienne pour montrer qu’autour de la question du regard se construit un discours à plusieurs niveaux. Quelle stratégie de composition est mise en place pour centrer la pensée sur le regard comme notion ? Comment ce jeu de perception projective accompagne-t-il les idées de Delacroix sur la peinture ? Un second niveau concerne la relation entre l’image et le texte référent. La condensation dans l’image d’éléments obvies et cachés permet d’ouvrir la narration et de signaler au regardeur d’autres moments du récit que celui de la scène représentée. Un troisième niveau peut être proposé en resserrant l’analyse du profil potentiel et en s’appuyant sur la lecture d’Eugen Drewermann du mythe de Tobie. Ce petit tableau peut alors apparaître comme une sorte de document testamentaire et le choix de son destinataire devient très significatif.


Dans l’optique de Delacroix, perception et cognition entretiennent une dialectique complexe car si elles s’informent mutuellement, elles peuvent également s’aveugler l’une l’autre. Le petit tableau de Tobie et l’ange, dont l’historiographie s’est jusqu’à présent contentée d’observer qu’il synthétisait l’apprentissage et la maîtrise de la touche colorée par le peintre, est exemplaire de l’utilisation de signes plastiques pour figurer une réalité invisible.