La bande dessinée repose sur une articulation texte-image au service d’une narration. Cette question est au cœur de l’ensemble des tentatives de conceptualisation de cette forme d’expression, qu’elles émanent des producteurs eux-mêmes (la « littérature en estampes » évoquée par Töpffer, « l’art séquentiel » de Will Eisner) ou de la critique spécialisée et de la recherche académique (cf. les travaux et les synthèses proposées par des auteurs tels que Benoît Peeters 1991/1998, Thierry Groensteen 1999 et Harry Morgan 2003). Une façon de réfléchir à cette combinaison et de mesurer l’importance de l’équilibre sur lequel elle repose est d’étudier ce qui se passe lorsque ces productions littéraires sont extraites de leur dispositif habituel de présentation et de réception (le livre). C’est ce que cette communication entend faire en s’attachant aux expositions de bande dessinée.
À partir d’un travail empirique reposant sur une mise en perspective historique des expositions consacrées à la bande dessinée en France depuis 1967 et sur l’analyse de leurs dispositifs scénographiques, cette communication soulignera la difficulté de ces expositions à restituer le texte des œuvres présentées. Cette difficulté résulte d’une pluralité de logiques qui seront détaillées : difficultés pratiques (des planches originales exposées ne se prêtent que difficilement à la lecture) mais surtout stratégies de légitimation amenant à privilégier une approche plasticienne des œuvres (de manière à produire une équivalence anoblissante entre bande dessinée et arts plastiques).
Dans ce cas, qu’en est-il alors de la narration et de l’imaginaire qu’elle véhicule ? En raison de la marginalisation du texte, la narration est réduite à une portion congrue, fragmentaire. On observe par conséquent, dans les dispositifs d’exposition, le déploiement de stratégies alternatives pour restituer le propos narratif : paratextes (textes et cartels résumant la narration) ou plus souvent présentation d’objets et de figures et mise en scène immersive (reproduction de décors, maquettes, etc.). On le voit, plutôt qu’une restitution de la narration et de ses détails, l’exposition propose alors davantage une évocation de son imaginaire, la présentation d’un
« univers ».
À partir de l’analyse des expositions de bande dessinée, notre communication entend donc souligner que la narration en bande dessinée repose sur une combinatoire texte-image dont la modification suscite une perte, que le recours à d’autres instruments sémiotiques peine à compenser. Ce faisant, notre communication vise également à réfléchir sur le principe même des « expositions de bande dessinée » et sur leurs effets paradoxaux en termes de reconnaissance.