Cette communication se propose d’interroger une modalité particulière du rapport création/réception à partir d’un type de performance émergente dans l’art contemporain qui utilise le corps de l’artiste — et la forme de son discours — comme interface.
La mise en scène de soi dans l’espace public (Lash : 2000 et Sennett :
1995) s’est doublée depuis les années 1990 d’une narration de soi qui utilise des ressorts fictionnels. Internet est un lieu privilégié d’expression de cette fiction de soi rendue publique ; le courant artistique de l’autofiction, en littérature et en arts visuels, un autre (Uhl : 2010).
Depuis quelques années, les arts de la performance ont vu apparaître un nouveau mode opératoire prenant toujours le corps de l’artiste comme support de l’œuvre, mais le doublant d’une narration spécifique empruntant à la conférence scientifique ses principaux atours. Ce « mode conférence » conjugue à la fois les ressorts du « storytelling » (Salmon : 2007) et ceux de la communication scientifique. Ainsi la fiction, plutôt que de rejouer la scène de l’intime avec son renvoi implicite à « l’authenticité », se déplace dans la forme scientifique publique consacrée et censée « dire le vrai » (Bourdieu :
1982). Le glissement opéré entre ces deux sphères du « vrai » — l’une contemporaine (la narration de soi), l’autre traditionnelle (la transmission du savoir) — est intéressant à saisir car, plus qu’une confusion des registres ou un partage des légitimités, il préfigure le rapport que les sujets sociaux entretiennent avec leur monde.
La communication s’appuiera sur les œuvres de trois performers contemporains qui utilisent ce mode opératoire original : Andrea Fraser (USA), Walid Ra’ad (Liban) et Jean-Yves Jouannais (France). Il s’agira, à travers ces trois regards, de saisir la texture de ce nouveau rapport au monde qu’introduit la fiction lorsqu’elle s’incarne dans le corps de l’artiste et s’exprime à travers lui.