Dans l’horizon logocentrique du monde occidental, la matérialité du signe aussi bien que la singularité du support passent le plus souvent pour une dimension implicite, mais négligeable par rapport à la configuration du sens. Pourtant, une fois marquée sur une surface, toute figure entre dans un ensemble de conditionnements réciproques inéluctables, car le support est le premier champ de contraintes auxquelles l’artiste se soumet afin d’exercer son imagination créatrice (Christin, 1995 : 33).
Pour un artiste comme Christian Dotremont, l’essence même de la pratique artistique repose sur ce dialogue unique qui se cristallise entre l’artiste, le médium et le support de travail. Alternant le crayon avec le pinceau étouffé d’encre ou avec le bâton, la fragile surface de papier avec la matière dure d’une valise ou avec l’espace infini de la glace/de la neige lapone, Dotremont se rend compte de la liaison intime qui existe entre la nature de la trace et les caractéristiques de l’espace qui l’accueil. Le tracé scriptural se voit ainsi contaminé par les traits distinctifs du tracé pictural, de sorte que la frontière même entre texte et image est anéantie. Il ne s’agit plus chez Dotremont d’un dialogue externe texte/image — comme dans les livres illustrés ou même les livres de dialogue —, mais d’une transposition de la dialectique texte/image à l’intérieur même de la pratique scripturale. Comment faut-il, cependant, réunir ce genre de créations dans des éditions synthétiques ? Faut-il garder simplement le texte poétique (comme le fait l’édition des Œuvres poétiques complètes de Dotremont, parue au Mercure de France, en 1998) ; ou, au contraire, faut-il traiter les logogrammes (exposés, d’ailleurs, souvent sur des murs) en tant qu’œuvres picturales et les intégrer dans des catalogues d’exposition ? Comment devrions-nous réagir face à ce type de productions qui, malgré leur jeu incessant à la frontière du texte, de l’image et du support, n’arrivent pas à trouver leur place dans les catégories déjà consacrées, telles que le livre d’artiste, le livre de peintre, etc. ?