Depuis une vingtaine d’années, on constate un « retour » en force de la phénoménologie dans divers domaines de réflexion, en particulier dans l’art et les sciences humaines. Sans nous arrêter aux explications historiques de ce retour, qui pointent vers l’essoufflement du modèle (post)structuraliste et vers l’émergence de nouvelles préoccupations thématiques (dont le corps et la religion), nous proposons d’interroger la visibilité nouvelle des approches phénoménologiques dans le discours de l’histoire de l’art à la lumière de ce qui pourrait constituer l’« imaginaire » propre de cette théorie. Autour de quelles figures discursives et de quels objets cet « imaginaire » se construit-il ? Comment les usages esthétiques et les orientations contemporaines de cette pensée contribuent-ils à dévoiler cela et en quoi mobilisent-ils des enjeux internes à la phénoménologie ?
Cette communication se concentrera sur la question de la « chair », un motif central de la phénoménologie (Husserl, Merleau-Ponty) autour duquel s’articulent la plupart des emprunts conceptuels des théoriciens de l’art. Nous examinerons d’un point de vue critique les implications (affectives, surtout) de la « chair » phénoménologique lorsqu’appliquée à l’art et à son expérience. L’analyse portera sur le texte de Michael Fried, Courbet’s Realism (1990), ainsi que sur certains ouvrages de Georges Didi-Huberman, qui sont directement inspirés par ce modèle philosophique. Nous tenterons de montrer que l’« anthropomorphisation » de l’œuvre d’art, chez ces deux auteurs, participe d’un certain « fantasme théorique » : l’expérience esthétique comme relation intersubjective dans laquelle intervient la dynamique du désir.
Cette étude sera donc l’occasion d’interroger certains aspects (refoulés ?) de la théorie phénoménologique de l’incarnation — notamment son rapport à la psychanalyse freudienne et lacanienne —, des aspects que l’expérience de l’art, comme « phénomène limite » et comme objet de croyance, permet de révéler. Nous porterons ainsi une attention particulière au rôle du langage figuré dans la mise en relation de la théorie et des objets privilégiés ;
là où prendrait forme le mouvement de la pensée dont témoigne l’actuel renouvellement de la phénoménologie.