En 1892, Georges Rodenbach publie chez Flammarion un roman illustré de photographies intitulé Bruges-la-Morte. Dans une prose recherchée et au rythme lent typique du symbolisme, l’œuvre raconte l’histoire d’Hugues Viane, veuf solitaire qui est allé s’établir à Bruges pour y vivre en toute quiétude dans le souvenir de sa femme décédée, et qui fera la rencontre séduisante et ultimement tragique du double maléfique de celle-ci. Les nombreuses photographies qui parsèment le texte ne sont pas illustratives et présentent plutôt des vues de la ville et des environs (canaux, ponts, chemins) généralement dépourvues de personnages. La communication traitera de Bruges-la-Morte en faisant l’hypothèse que l’œuvre constitue la mise en texte et en images de rites liés à la mort, au deuil et à l’au-delà. La mort est un moment charnière potentiellement menaçant puisqu’à cette occasion, les mondes de l’ici-bas et de l’au-delà communiquent brièvement. Dans ce cadre, les rites funéraires jouent le rôle de balises symboliques capables de gérer la transition, de faire passer l’âme de l’autre côté pour ensuite reséparer les mondes qui ont été brièvement perméables. Or dans Bruges-la-Morte, cette transition est l’objet d’un ratage qui rend le deuil impossible. Les mondes de l’ici-bas et de l’au-delà, loin de se reséparer, se contaminent mutuellement, et la ville devient le lieu d’un entre-deux indéterminé où les personnages sont à la fois des vivants et des morts. La communication portera sur les manifestations textuelles et iconiques de ce ratage des rites funéraires. Elle s’interrogera aussi sur le sens que revêt le recours aux rites dans une œuvre moderne, postulant qu’il permet de saisir simultanément un imaginaire archaïque et sa transformation perçue comme perte.