La ville et ses prosopopées fabuleuses

Auteur / Author: 
Nathalie ROELENS (Université de Nimègue, Pays-Bas et Université de Gand, Belgique)
Date: 
Jeudi 25 Août 2011 - 8:30
Local: 
R-R130
Séance/Workshop: 
33-1. Imaginer la ville utopique

 

La légende raconte que Naples fut fondée par la sirène Parthénope. Jean-Noël Schifano entrevoit dans la morphologie de cette ville épousant le golfe « un grand oiseau de feu en piqué avec son bec vers la mer » et dans sa stratification « un gâteau feuilleté ». Victor Hugo considérait déjà l’île de la Cité à Paris comme « une énorme tortue » et Apollinaire la « tour Eiffel » comme une langue que la ville tire aux Allemands. D’autres prosopopées fabuleuses sont célèbres : the Big Appel (New York), l’île aux chèvres (Capri), l’île aux singes (Ischia), mais aussi Atlantide, la Syldavie, Laputa, Neverland, Metropolis, Gomorra. On le voit, l’allégorie peut avoir une origine toponymique, mythique, urbanistique ou politique. Elle a la vertu de nous dépayser, de rompre avec « les effets analgésiques de l’habitude » (Proust), de réévaluer notre façon de « pratiquer l’espace » (de Certeau).

 

On aimerait voir les prosopopées urbaines comme une forme de fétichisme dont l’imaginaire humain a besoin pour apprivoiser l’espace environnant. Il ne s’agit plus d’un fétichisme anthropologique (icône) ou érotique (index), mais d’un fétichisme imaginaire (symbole) — imaginaire en quoi Bachelard décelait un au-delà de l’image : « une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images » ou dont Aragon disait qu’il nous « force à réviser tout l’Univers ». L’artiste se substitue en effet à l’urbaniste pour conférer une âme à un ensemble inanimé, pour naturaliser une entité culturelle. Car en transfigurant la ville, il la resémantise, l’investit d’un pouvoir sacré, magique.

 

D’un stade primitif où l’habitant veut exorciser ses peurs face à la ville en l’ancrant dans le mythe, en passant par Les villes invisibles de Calvino, jusqu’à une épistémè urbanistique du XIXe siècle, qui a voulu dompter l’espace hostile des métropoles naissantes par des expositions universelles à vocation ludique, fantasmagorique, voire par des parcs d’attraction, tels « Dreamland », et jusqu’aux mégalopoles tentaculaires actuelles, la ville se métamorphose dans l’imaginaire comme si on n’avait jamais fini de lui donner un visage. Or, même à l’époque de la globalisation, on assiste à la résurgence d’une pensée païenne, archaïque, animiste, à une vision nomade qui s’impose à la civilisation sédentaire.