Pour des raisons d’ordre idéologique, le texte n’a pas bénéficié, depuis que la critique spécialisée s’intéresse à la bande dessinée, de la même attention que l’image. Au risque d’un paradoxe, compte tenu des priorités sémiotiques accordées depuis quelques millénaires à la médiation textuelle pour « parler » le monde. Mais cette situation induit un autre paradoxe, cette fois intrinsèque au fonctionnement même de l’expression BD. Irène Pennacchioni a très bien décrit la nouvelle situation narrative installée par la bande dessinée, par rapport à l’histoire illustrée, qui consiste en une inversion de la relation entre narrateur et acteurs : désormais émancipés de la toute puissance d’un narrateur extérieur (à l’image) et transcendant, les personnages ont la parole qui, parallèlement à leurs gestes et leurs expressions, anime le récit de l’intérieur (de l’image). Alors que notre actualité culturelle répète à l’envi que la littérature est en crise, qu’elle a perdu beaucoup de son hégémonie (symbolique) et de son pouvoir d’intervention au profit des modes d’expression audiovisuelle et multimédiatique, comment la bande dessinée réagit-elle à cette évolution de la concurrence entre productions strictement textuelles et productions mixtes ? On connaît le rapprochement, qui n’est pas que formel, opéré par une production BD à l’égard du roman (qu’illustre notamment le succès du « Graphic Novel »). Nous voudrions (re)focaliser notre attention sur le personnage de BD et ses discours, afin d’observer la part d’originalité ou d’imitation dans la gestion de la narration : l’exercice de la parole, dans ses limites et ses confusions, transpose-t-il, sans autre forme de procès, la « nouvelle » omniscience du roman contemporain (1990-2000), par exemple ? Doit-il à la seule image de sauver la mise ? À moins que ce soit cette… Nouvelle Nouvelle BD (1990-2010) qui prétende donner le la ?