Memento illam vixisse.
- Roland Barthes
Ceci au moins ne périra pas.
- Constantin Cavafy
Lorsque Roland Barthes, dans son Journal de deuil, fait de l’acédie, qui radicalise le processus mélancolique, la figure du deuil, il évoque un vide qui ne peut s’estomper. L’espace plein se fait creux. Les figures de l’acédie, que l’on pense à l’acédie contemporaine décrite par Barthes ou au démon de minuit qui hantait les pères du désert, peuvent-elles constituer un cadre théorique permettant d’interroger l’écriture contemporaine du deuil ?
Barthes, dans son Journal de deuil, souligne la nécessité du Monument, chargé d’une épitaphe qui ramènera au monde le souvenir d’un inconnu. Dans l’acte du Monument se dessine le désir de charger le Temps, d’amener à la reconnaissance l’être dont on tracera pourtant l’oubli. Le deuil passe ainsi par la figure, par l’image qui prend sa place dans l’espace et dans le temps, mais une place en creux. Au contraire des théories du deuil scriptural qui envisagent cet espace comme comblé par la présence de l’être perdu, vivifiée et retrouvée dans l’écriture, Barthes pose un monument creux, où le mort ne peut survivre à la perte. Ce vide qui habite le texte rejoint le vide spirituel de l’acédie. Comment la théorie peut-elle envisager les espaces creux d’une écriture qui n’est pas réparatrice ? La théorie peut-elle embrasser la force multiple de l’image (celle de l’acédie ici), son pouvoir réflexif et émotif ? Acedia, rangée autrefois dans les sept péchés capitaux, peintes entre autres par Bruegel et par Bosch, mais aussi par Dürer, hante l’imaginaire occidental et si elle émerge sous la plume d’un écrivain et d’un théoricien à la fin du siècle dernier pour écrire la douleur infinie du deuil, c’est bien parce que sa polysémie permet de saisir la multitude du deuil sans jamais l’enfermer dans un cadre conceptuel. C’est donc sur la puissance littéraire de l’image, artistique et mentale, que reposera cette réflexion.