Depuis très longtemps, musique et peinture se (re)croisent sur le chemin de la création. On pense notamment à la correspondance des arts entre Arnold Schoenberg et le groupe Der Blaue Reiter (1911), au sein duquel Wassily Kandinsky expérimente la simplification des formes et l’usage de la couleur comme une réalité autonome, et ce, à la même époque que le musicien développe le dodécaphonisme, puis, plus près de nous, au compositeur Luc Marcel s’inspirant de tableaux de Jean-Paul Riopelle, de même qu’à Michel Gonneville et à Yves Daoust réalisant des compositions dans le cadre des symposiums d’art in situ à la fondation René-Derouin, celles-ci s’inscrivant de facto dans la foulée du land art, mouvement artistique par lequel la nature n’est plus un sujet de représentation, mais le matériau même par lequel l’art se crée. Or, un examen des œuvres picturales illustrant l’édition de musique contemporaine canadienne, entre 1980 et 2010, montre que les images choisies sur les pochettes de disques compacts sont pour la grande majorité des paysages dont la facture relève ou évoque les tableaux du Groupe des sept ou de peintres régionalistes du Québec, des « classiques »
de l’art canadien. Un anachronisme qui surprend, surtout si l’on considère que, depuis l’avènement de l’avant-garde au début du XXe siècle, le dialogue entre musiciens et peintres s’est poursuivi sans interruption. S’agit-il alors d’une simple opération marketing afin de conforter le mélomane dans l’achat de valeur sûre ? Sans doute. Mais pourquoi choisir des paysages qui, dans l’imaginaire collectif, se font l’écho d’un art « national », fortement identitaire ? Quels discours entretenir sur la musique canadienne eu égard au répertoire mondial ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre à travers l’examen du dialogue entre l’écriture musicale et le paysage canadien, réunis dans l’édition de disques compacts.