Réalisées par les victimes elles-mêmes, les images des attentats de Londres de 2005 ont été perçues par le secteur du photojournalisme comme la manifestation patente d’une déprofessionnalisation du reportage. Les professionnels de la photographie de presse se sont en effet émus de la mise en circulation par les médias de ces images produites en dehors de tout cadre normatif. La production de l’information visuelle ne serait plus l’apanage exclusif des professionnels de l’image, croit-on, mais le règne partagé d’une activité médiatique faisant la part belle aux amateurs. Professeur de journalisme à la Southern Oregon University, Dennis Dunleavy résume l’opinion commune : « L’histoire du photojournalisme s’est écrite la semaine dernière. Pour la première fois, le New York Times et le Washington Post ont illustré leur une avec des photos faites par des journalistes citoyens avec des camphones. » (The Digital Journalist, July 2005). Le principe d’une nouvelle concurrence entre professionnels et amateurs est moins un fait qu’un mythe entretenu par le secteur de la presse. Soucieux de préserver ses prérogatives historiques en matière de communication visuelle, le domaine du photojournalisme est sensible sinon inquiet face à ces phénomènes de mutations techniques, sociales et médiatiques. Les instruments d’enregistrement portables et les connexions à haut débit sont identifiés comme les principaux responsables de cette démocratisation du reportage. Mais qu’advient-il lorsque ce sont les photojournalistes de métier, parmi les plus notoires, qui ont recours aux techniques des amateurs ? Le 21 novembre 2010, le New York Times publie sur sa une un ensemble de quatre images prises par Damon Winter, lauréat d’un Pulitzer en 2009, au moyen de son iPhone. Les clichés montrent les activités quotidiennes et les opérations militaires de soldats américains basés en Afghanistan. Certains membres de la profession, tel Martin Gee du Boston Globe, s’indignent : « L’application [Hipstamatic] ajoute des bordures, des textures, une couleur et des effets qui ne se retrouvent pas dans l’image originale. Je dis non au iPhone pour les photos de guerre. » Cette conférence propose d’interroger cette migration des protocoles figuratifs « démocratiques » vers le domaine du photojournalisme. Nous voudrions observer les inflexions de ce déplacement sur l’éthique professionnelle, la déontologie et les esthétiques canoniques de la presse illustrée.