Michel Henry (1922-2002), fondateur de la phénoménologie de la vie, a posé une seule et unique question durant toute son œuvre, dont on peine encore à savoir si celle-ci est métaphysique, théologique ou phénoménologique : celle du fondement. Autrement dit, et selon ses perspectives, il s’agit de la question du « pathos » ou du « sentiment de soi », c’est-à-dire de la manifestation originaire et transcendantale, en son apparaître invisible et immanent, de l’« affectivité » en tant que principe déterminant de l’« être de l’ego », en tant qu’ « essence de l’ipséité ». Grand penseur de cette généalogie/génération transcendantale du soi et de sa structure interne dynamique, il fut aussi celui de la « création », et, entre autres, de la création littéraire, qu’il a lui-même envisagée comme pratique spécifique, sans pour autant lui assigner des buts clairement définis. Si l’on devait résumer très grossièrement la question du traitement philosophique de la littérature par Michel Henry, nous pourrions dessiner trois grandes notions : « contemporanéité-réception », « répétition » et « narration ». En sachant que cette pensée ne relève pas d’un vitalisme, d’un sensualisme ou d’un romantisme, nous nous proposons d’ébaucher la construction d’un concept de « littérature » autour de ces trois pôles, en tentant de dériver une « esth-éthique du roman » (selon le terme de Paul Audi) de ses conceptions sur l’art et sur le langage. Ceci devrait nous permettre de poser l’hypothèse d’une nécessité interne de « fictionalisation » du soi vivant, qui aurait pour corrélat la fondation d’un « rituel » du « vivre subjectif », selon un « codage » affectif permanent de formes expressives renouvelées.