“Eager for the trace of a divine footstep” (W. Pater) : Les Victoriens en quête de survivances antiques

Auteur / Author: 
Charlotte RIBEYROL (Chromo, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Département des antiquités grecques, Musée du Louvre et Université Paris-Sorbonne, France)
Date: 
Mardi 23 Août 2011 - 10:15
Local: 
R-R160

 

Dans son essai sur « Les Débuts de la sculpture grecque », Walter Pater suit les traces de Pausanias qui le guide à travers une Grèce antique fantasmée, où se mêlent mythe et histoire, géographie réelle et topographie sacrée. Comme Pausanias, Pater est en quête d’une Hellade idéale déjà perdue, mais dont il espère découvrir encore certains vestiges, autant de survivances d’une culture lumineuse, que l’ensemble des Victoriens semblent vouloir ériger en paradigme absolu afin de mieux s’en réclamer les héritiers directs. Cette « hellénomanie » (M. Bernal) se traduit par de nombreuses relectures et réappropriations qui investissent à la fois les fragments des auteurs grecs et les marbres, tout aussi fragmentaires, du Parthénon.


En lien avec ces récupérations idéologiques diverses, cette communication analysera la tentation d’anachronisme présidant à la quête d’hellénité de deux auteurs et d’un peintre de la seconde moitié du XIXe siècle, W. Pater, J.A. Symonds, et S. Solomon, qui déplorent être « nés trop tard », dans un monde moderne où l’esprit grec ne subsiste plus qu’à l’état spectral. Afin de pallier l’évidement de la substance hellénique, ils retracent les multiples renaissances de l’antique à travers les âges. À cette démarche palimpsestuelle s’ajoute un désir de contact rapproché avec les originaux poétiques ou sculpturaux dont ils s’attachent à combler les manques pour mieux réincarner ces œuvres aux couleurs passées et aux formes émoussées. Mais leur volonté de faire revivre certains aspects de l’Antiquité vient contredire l’aspiration à l’immaculé de leurs contemporains, chantres d’un idéal classique immuable. Cette tension entre deux imaginaires helléniques, entre une Grèce bigarrée, perçue comme primitive et l’Hellade des origines rêvées se trouve progressivement exacerbée par les premières recherches d’anthropologues comme E.B. Tylor et par les fouilles archéologiques d’H. Schliemann exhumant les vestiges insoupçonnés d’une civilisation archaïque qui ne cadre plus avec la « révélation du divin » dont Ernest Renan fit l’expérience sur l’Acropole.


Qu’il s’agisse de cette Grèce secrète, refoulée, ou de celle, idéale, dont certains Victoriens semblent se refuser à faire le deuil, il faudra donc ici s’interroger sur la notion de survivance, dans ses multiples acceptions et manifestations — entre relique et héritage, perte et « revenance » (Didi-Huberman), trace et tache.