De l’hybridation corporelle à la quête d’identité dans L’Interdite et N’Zid de Malika Mokeddem

Auteur / Author: 
Hélène BARTHELMEBS (Institut de recherche en Lettres et langues européennes, Université de Haute-Alsace, France)
Date: 
Vendredi 26 Août 2011 - 15:45
Local: 
R-R160

Malika Mokeddem, auteure algérienne d’expression française, met en scène dans L’Interdite (1993) et dans N’Zid (2001) le thème de l’hybridation corporelle. Le corps y devient le lieu privilégié et emblématique du métissage entre plusieurs éléments qui apparaissent de prime abord comme incompatibles et/ou impossibles. L’auteure explore par ce biais le métissage culturel, social et linguistique qui compose l’identité.
L’Interdite croise deux histoires écrites à la première personne du singulier. Sultana avait quitté son village natal en Algérie, pour échapper à la condition féminine et au déshonneur qui touchait sa mère. Suite à une lettre d’un vieil ami, elle décide d’affronter son passé et de retourner en Algérie. En parallèle, le lecteur suit les pérégrinations de Vincent ; ce dernier a subi une greffe rénale, dont la donneuse était algérienne. Incorporant l’identité de cette femme, il décide de se rendre en Algérie pour découvrir l’histoire de cette part inconnue de son être. Les deux récits finissent par se rejoindre 
lors de la rencontre des protagonistes. Le corps de Vincent devient ainsi le lieu de l’hybridation entre Féminin et Masculin :
Mais cette tolérance ne pouvait empêcher l’idée qu’avec cet organe, la chirurgie avait incrusté en moi deux germes d’étrangeté, d’altérité : l’autre sexe et une autre « race ». Et l’enracinement dans mes pensées du sentiment de ce double métissage de ma chair me poussait irrésistiblement vers les femmes et vers cette autre culture, jusqu’alors superbement ignorée (Mokeddem, 1993 : 30).
Au travers de cette greffe, le protagoniste se sent investi par une part féminine et algérienne : il devient la réunion du Féminin et du Masculin. Cette altérité en lui devient constitutive de son intégrité physique, mais aussi de son Etre culturel et moral. Il doit la vie à cet alter ego — au sens premier —
et cherche donc à découvrir la part de lui-même qui lui est étrangère.
L’imaginaire permet à l’auteure d’explorer non seulement le rapport entre Féminin et Masculin, mais aussi celui entre langue française et langue arabe. L’hybridation du corps permet le questionnement du métissage linguistique :
les sexes se mêlent en un seul corps, et les langues française et arabe se mêlent jusqu’à ne plus en former qu’une seule et unique, hybride.
N’Zid se construit sur la double signification du mot : je continue et je nais. Dans ce roman, Malika Mokeddem retrace les errances de Nora qui s’est réveillée amnésique sur un bateau dérivant en mer méditerranée. L’héroïne se livre à une véritable quête d’identité : elle « vogue » d’une identité à une autre, les « essayant » dans le but de retrouver peu à peu la sienne :
est-elle arabe, anglaise ou française ?
Dans cette quête identitaire, l’auteure a recours de nombreuses métaphores visant à définir l’identité de Nora. Son corps sera, tour à tour, dépeint sous les traits d’une machine, de la mer, d’une méduse. Il en découle une impression de polymorphisme de l’héroïne. Ces différentes métamorphoses, fusions entre le corps féminin et une altérité, montrent la difficulté de l’héroïne à saisir sa propre identité, non seulement au niveau corporel, mais aussi au niveau psychique.
Ainsi, Malika Mokeddem, au travers de l’exploration de différentes images du corps, interroge la notion d’identité ; l’altérité y tenant une place prépondérante. Le fait de refuser le clivage identitaire paraît ici condamner le Féminin à une sorte d’errance perpétuelle, dans laquelle il dérive d’identité(s) en identité(s).
La mémoire touche aussi au corps, au travers de la mémoire corporelle. Le corps garde la trace des sensations éprouvées : elles s’inscrivent dès lors dans la chair de l’individu. N’Zid en offre une illustration particulièrement frappante : « C’est flou dans le cortex. Drôle de mot, cortex. Corps-texte, c’est ça. Ton corps a le texte flou… Il a brouillé les menaces de l’identité, des amours et des abandons. Fracture du crâne et des drames » (Mokeddem, 
1991 : 61). Le corps devient ici le support du texte. On peut donc y voir une relation ternaire entre texte, corps et pensée.