Dans la perspective de cette session, j’aimerais travailler sur l’imaginaire anatomique (XVIe–XVIIe siècle) comme figuration, expérience et pratique du secret : le corps s’offre à l’anatomiste comme une figure visible mais dont la profondeur cache les secrets du vivant, le secret des maladies, ce qui nécessite de soumettre le corps « à la question », de percer sa surface afin d’explorer une vérité qui toujours se dérobe, dans un imaginaire de la verticalité et de la profondeur.
J’aimerais étudier tout d’abord comment les anatomistes mettent en scène cette exploration : la gravure anatomique figure un corps visible soumis à un dévoilement progressif (cheminement en diachronie de l’intérieur vers l’extérieur, exhibition progressive des organes cachés, cf. les gravures vésaliennes) que motive la croyance en une lisibilité du corps : il s’agit d’ouvrir pour voir et pour savoir (élaboration d’une imagerie scientifique/d’une herméneutique du corps ouvert).
J’aimerais montrer ensuite comment certaines gravures anatomiques figurent en même temps une résistance du secret : le corps anatomisé n’est pas toujours lisible mais reste un point de rencontre du visible et de l’invisible, du charnel et du spirituel ; opacité du corps que l’on peut expliquer par la superposition de la science et de la spiritualité, du savoir et de la croyance (cf. gravures de Bidloo ; cf. anatomies moralisées) et qui oblige à une sorte de suspens de la pratique anatomique au profit de la contemplation d’un Mystère spirituel.
L’ouvrage de Paleotti sur le Saint Suaire (1599) pourrait constituer l’exemple emblématique de cette anatomie du corps invisible. L’image qu’il donne à voir figure le corps non plus dans sa pleine visibilité mais dans sa déformation salvatrice, contemplé non dans sa forme mais dans ses vestigia sanglants, invisibilité qui fonde une herméneutique mystique.