Ciné-grammes, kiné-grammes : 
Ravissement et paradoxes d’une lecture immersive
à partir de deux figures emblématiques du texte numérique

Auteur / Author: 
Saemmer, Alexandra (Université Paris 8, France)
Date: 
Lundi 22 Août 2011 (Toute la journée)
Local: 
R-R150
Séance/Workshop: 
4-1. Esthétiques numériques

Dans l’hyperfiction Zeit für die Bombe de Susanne Berkenheger (http://berkenheger.netzliteratur.net/ouargla/wargla/96Dollar.htm#2Cents), le personnage Iwan est confronté au choix crucial d’appuyer ou non sur l’interrupteur d’une bombe. Le narrateur commente : « Iwan, fais-le enfin, appuie sur le petit interrupteur ! ». Un lien hypertexte sur « appuie sur le petit interrupteur » invite le lecteur à interagir. Cette manipulation rappelle de façon troublante le geste qu’Iwan est censé faire dans l’histoire racontée, et projette ainsi le corps du lecteur au cœur de l’action. Nous appellerons « kiné-gramme » une relation signifiante entre contenus textuels et geste de manipulation dans laquelle l’émergence de la signification est non seulement fondée sur des processus d’intersection de « traits signifiants »,
mais où ce champ d’intersection s’avère si étendu qu’une impression de synonymie, voire de redondance se crée potentiellement chez le lecteur.


Une fois la manipulation effectuée, s’affiche dans Zeit für die Bombe la phase « Et la bombe faisait tic-tac ». Le mot « bombe » clignote seul dans l’environnement textuel stable. Encore une fois, les significations potentiellement mobilisées par le texte et le mouvement se trouvent en intersection quasiment totale de sorte qu’une impression de synonymie et de redondance émerge, en fonction des attentes et du contexte de lecture. Ce cas particulier d’une mise en relation « conventionnelle » entre un mouvement et un contenu textuel sera appelé « ciné-gramme ».


 Un recouvrement complet des traits signifiants potentiellement associés au mouvement et/ou à la manipulation et au texte est pourtant impossible à cause des différences fondamentales entre les systèmes sémiotiques impliqués. Le jeu vertigineux avec une quasi-synonymie, mais qui n’est jamais entière à cause de la différence profonde des systèmes sémiotiques impliqués, fait que le ciné-gramme et le kiné-gramme peuvent dégager la même fascination déroutante que le calligramme dans l’univers papier : le caractère iconique du mouvement et de la manipulation apporte au texte un « effet de réel » favorisant l’immersion du lecteur tout en dévoilant le manque d’iconicité du texte linguistique.


Les plus beaux ciné-grammes et kiné-grammes jouent avec ce rêve d’identité entre les deux systèmes sémiotiques tout en révélant les écarts entre eux. Ils flirtent avec l’immersion tout en exhibant, par le contraste entre les différentes sémiotiques convoquées, le ravissement et le paradoxe de la nouvelle iconicité du texte numérique.