Au siècle dernier, l’accession de la bande dessinée à son autonomie commerciale et à sa légitimité artistique a été contemporaine d’une prise de pouvoir progressive de l’image sur le texte, dont témoigne l’évolution de ses récits, les histoires illustrées du XIXe siècle étant appelées à se muer progressivement en romans graphiques. La période classique a fixé un état particulier du rapport entre le texte et l’image, dont le style hergéen peut passer pour le parangon, et que n’ont pas fondamentalement remis en cause les différentes et successives écoles ou nouvelles gardes, même si de nombreuses explorations aux frontières du genre ont été menées, depuis fort longtemps, et prolifèrent aujourd’hui. Dans la Bande Dessinée contemporaine, on assiste ainsi à une multiplication des remises en question du statut du texte, qui orientent le genre vers de nouvelles formes de narration. Mais la période actuelle reste tributaire d’une tradition désormais bien ancrée, et toujours vivace, avec laquelle elle doit composer :
le texte ne se laisse pas facilement oublier, contourner ou évacuer.
Je voudrais, dans le cadre de ce congrès, proposer une réflexion sur l’imaginaire du texte et de la narration dans trois productions contemporaines, à la fois expérimentales et populaires, qui ont en commun de proposer un traitement original du texte et d’être littéralement hantées par la question des mots et de leur écriture : Là où vont nos pères de Shaun Tan, Jimmy Corrigan, The smartest kid on earth de Chris Ware et Les mers perdues de François Schuiten et Jacques Abeille. L’enjeu de cette étude sera double : il s’agira d’une part d’envisager les nouvelles formes de relations entre le texte et l’image, et partant, les nouvelles formes de narration que proposent ces œuvres, mais aussi de comprendre l’imaginaire de l’écrit et de la narration qui sous-tend ces bandes-dessinées.
