Étant donnée la mixité scriptovisuelle du médium bédéique, s’il apparaît nécessaire et urgent d’entreprendre l’étude de sa composante scripturale (le texte), il semble plus encore inévitable de la considérer en relation avec la composante visuelle (l’image) de la bande dessinée. Par conséquent, la notion de texte bédéique paraît appropriée pour englober ces deux langages sémiotiques en un seul ; celui-là même à travers lequel se déploie le style et le sens global propres à chaque discours BD.
Or, il semble que les modes de perception de ce texte pluricode partagent quelque parenté inattendue avec ceux d’un autre phénomène littéraire, à savoir le texte poétique. En effet, la signifiance de la bande dessinée se trouve contrainte à la lecture, comme celle de la poésie, par l’effet que la forme (lecture tabulaire) produit sur le contenu narratif (lecture linéaire).
Voilà peut-être qui explique la relative fortune en bande dessinée d’une forme poétique brève telle que le sonnet, qui s’observe dans des productions récentes, tant didactique (Poetry Comics de Dave Morice) qu’oubapienne (Bandes de sonnets d’Étienne Lécroart) ou qu’explicitement poétique (Self Service de Jan Baetens).
Leur analyse stylistique révèle, en suivant la perspective sémiotique de Michael Riffaterre sur la poésie, que le phénomène de la bande dessinée est perçu immédiatement comme un genre, reposant sur les formants textuels de l’humour et du non-sens. En revanche, ce genre n’occasionne pas l’obscurité sémantique propre à la poésie, au contraire il tend généralement à une lisibilité maximale, conformément à sa définition primaire de culture de masse.
Ceci suggère également de nouvelles pistes de recherches pour des
« récits poétiques » plus longs, tels qu’Orfi aux enfers de Dino Buzzati, Par-delà les nuages d’Anne Herbauts et de nombreux travaux de l’avant-garde BD bruxelloise.
